.: Oligarques, le Gang de Poutine S01 :.

Une enquête en trois parties qui dévoile comment les oligarques ont pillé la Russie, porté Poutine au pouvoir et financent aujourd'hui sa guerre contre l'Occident, Occident en partie responsable pour avoir souvent privilégié l'appât du gain aux valeurs démocratiques.

01. Main basse sur le pétrole

Le 24 février 2022, aux premières heures de " l'opération militaire spéciale " en Ukraine, Vladimir Poutine convoque au Kremlin les hommes d'affaires les plus puissants de Russie. Ceux que l'on appelle les oligarques. La scène qui se déroule dans la majestueuse salle Sainte-Catherine du Kremlin est retransmise à la télévision à des fins de propagande. Le Président a convoqué ces hommes (pas une seule femme ne figure dans l'assistance), connus jusque-là pour leurs frasques, et dont la puissance n'a d'égale que le compte en banque, pour exiger allégeance publique et soutien financier. " La patrie est en danger ! Ceux qui nous manqueront seront punis ", tel est le leitmotiv du Chef Suprême des forces armées russes. Au cours de ce conclave, le secteur de l'énergie est majoritairement représenté. Et pour cause, la Russie est l'un des principaux producteurs et exportateurs d'hydrocarbures de la planète. Selon l'expression consacrée, l'ancien pays des tsars est " essentiellement une station-service ". Or, pour financer sa guerre, Poutine a besoin de l'argent des oligarques. En particulier des milliards de dollars du pétrole et du gaz. À la chute du régime communiste, au début des années 1990, la Russie est le théâtre d'une guerre terrible pour le contrôle des fabuleuses réserves d'or noir. Plusieurs factions s'affrontent, dont celle de jeunes gens doués, cupides et n'ayant peur de rien, qui ont construit leur fortune sur les cendres de l'ancienne URSS. On les appelle les " 7 banquiers ". Bientôt, sous la houlette de leur chef de file, le machiavélique Boris Berezovsky, les Roman Abramovitch, Mikhaïl Fridman, Piotr Aven et Mikhaïl Khodorkovski profitent des réformes pour bâtir leur empire via le vaste programme de privatisations lancé par le président Boris Eltsine. Face au danger d'un retour au pouvoir des communistes lors de l'élection présidentielle de 1996, ce cercle participe au financement de sa campagne victorieuse en échange de l'acquisition d'actifs pétroliers. Le gaz, vital pour chauffer les 140 millions de citoyens russes, n'a, lui, jamais été privatisé. En faisant main basse sur l'or noir, les jeunes millionnaires deviennent milliardaires, et contrôlent de facto le Kremlin. Les oligarques sont nés. Mais le braquage des réserves de pétrole provoque la soif de revanche des exclus des privatisations. Quand les oligarques choisissent Vladimir Poutine, l'ancien agent du KGB, pour remplacer un Eltsine malade à la présidence de la Russie en 2000, ils pensent pouvoir continuer à tirer les ficelles du pouvoir. C'est leur unique erreur.

02. La conquête de l’Ouest

Avec une habileté redoutable, le nouveau président de la fédération de Russie convoque les tout-puissants oligarques dans la datcha de Staline, et leur laisse le choix entre le ralliement ou la disgrâce, la prison ou la mort. Pour l'exemple, il emprisonne Mikhaïl Khodorkovski et pousse Boris Berezovsky à l'exil. Les autres oligarques se soumettent au maître du Kremlin. Poutine a une obsession, restaurer la grandeur de la Russie, et un rêve, conquérir l'Europe. Il veut utiliser l'arme de l'énergie pour parvenir à ses fins. Il dispose d'une poignée d'alliés, son " gang de Saint-Pétersbourg ", des hommes fidèles, tous originaires comme lui de l'ancienne capitale des tsars. Il les propulse à la tête de groupes étatiques géants, à commencer par Alexeï Miller, chez Gazprom, et Igor Setchine, avec Rosneft. Poutine contrôle également le robinet des pétrodollars par l'intermédiaire du mystérieux Guennadi Timtchenko, chargé d'exporter l'or noir via son entreprise, Gunvor. Cette nouvelle garde rapprochée forme la nouvelle caste dirigeante, celle des oligarques siloviki, issus des services de sécurité. Quant aux oligarques historiques de l'ère Eltsine, ils se lancent dans la conquête de l'Europe de l'Ouest voulue par le nouveau tsar. Investissant massivement au Royaume-Uni, en France et en Allemagne, et influençant les élites occidentales, ils incarnent le nouveau « soft power » russe. Suivant l'exemple de Roman Abramovitch qui rachète le célèbre club de foot de Chelsea en 2003, beaucoup s'installent à Londres avec armes et bagages. Ils transforment la City en " Londongrad " et bénéficient du soutien de l'establishment politique et économique anglais, en particulier les avocats, banquiers, comptables, cabinets de relations publiques, voire de certains membres de la famille royale, tous alléchés par la manne financière inépuisable venue de Russie. Pendant deux décennies, les autorités britanniques ferment les yeux sur cette vaste opération d'influence pro-Poutine par le truchement des oligarques. Les affaires tournent, les caisses se remplissent. L'immobilier de luxe flambe. Au même moment, en Allemagne, le chancelier Schröder lance le coup d'envoi d'un pacte énergétique avec la Russie, centré autour de la fourniture de gaz bon marché pour faire tourner la machine économique allemande. Quelques semaines après sa démission, il prend la présidence du consortium chargé de construire le gazoduc Nord Stream, reliant la Russie à l'Allemagne, en contournant l'Ukraine, et devient le VRP international de Poutine. Les Européens n'ont pas vu venir la menace : ils sont devenus otages du gaz et du pétrole russes. Quand l'armée russe annexe la Crimée en 2014, ils se retrouvent piégés : Poutine a transformé l'énergie en une arme, et la tient braquée sur l'Europe.

03. Au service de la guerre

Quand, en 2014, l'armée russe envahit la Crimée, les Européens sont impuissants car Poutine menace de leur couper le gaz. Si Washington impose des sanctions, l'Union européenne refuse de suivre en raison surtout du blocage de la chancelière Angela Merkel. L'Allemagne est " accro " au gaz russe pas cher. La chancelière lance même le chantier de la construction d'un deuxième gazoduc, Nord Stream 2 pour doubler les importations de gaz russe.La France, par l'intermédiaire de la multinationale pétrolière Total, a choisi de s'allier avec Poutine pour exploiter les vastes gisements de gaz de l'Arctique, dans la péninsule de Yamal. Sous l'impulsion de son nouveau PDG, Christophe de Margerie, Total veut rattraper le retard pris sur ses concurrents BP, Shell et Exxon, déjà présents en Russie. Pour parvenir à ses fins, Total s'allie à Novatek, petite société russe privée appartenant à deux oligarques proches de Poutine, Guennadi Timtchenko et Leonid Mikhelson. Les trois associés se lancent dans la construction d'une plateforme pour transformer le gaz en gaz naturel liquéfié (GNL). Le " contrat du siècle " survit à l'invasion de la Crimée et à la mort brutale de de Margerie dans un accident d'avion en Russie. À la fin 2017, Yamal est opérationnel. En guise de remerciement, Poutine baptise du nom de Christophe de Margerie le premier cargo méthanier chargé d'inonder l'Europe de gaz liquide. L'invasion de l'Ukraine, le 24 février 2022 provoque de la part des États-Unis, de l'Union européenne et du Royaume-Uni, une vague de sanctions contre les hommes d'affaires, les banques et les entreprises russes. Les oligarques survivants des années 1990 sont sommés de choisir leur camp : celui de l'Occident où ils habitent avec leur famille ou celui de Poutine, à qui ils doivent leur fortune. Obligé de vendre le club de foot de Chelsea avant de s'exiler en Israël, Roman Abramovitch se transforme en diplomate de l'ombre et négocie la libération des enfants ukrainiens enlevés par les Russes. Mikhaïl Fridman, l'oligarque le plus occidentalisé, choisit de quitter Londres et rentre à Moscou. Poutine réussit l'union sacrée autour de lui. Il demande à son homme lige Igor Setchine, qui a désormais la haute main sur le pétrole russe, de créer une organisation clandestine pour contourner les sanctions occidentales. Setchine achète une flotte fantôme de tankers-épaves permettant d'écouler l'or noir russe dans tous les pays qui n'appliquent les sanctions : la Chine, l'Inde et les nations du Sud. Il assure à la Russie des revenus exceptionnels, lui permettant de financer sa guerre coûteuse en Ukraine. Poutine et les oligarques ont gagné la guerre du pétrole. Tandis que le méthanier Christophe de Margerie continue toujours d'approvisionner les pays européens en gaz liquide… Les oligarques russes sont des professionnels de la survie. Désormais parias à l'Ouest, ils sont rentrés en Russie pour se mettre au service du grand dessein de Poutine.

Origine : France
Genre : Actualités

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